Blogpost #5 Portrait de Florence Gaub

Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Florence Gaub, directrice adjointe de l’European Union Institute for Security Studies (EUISS). Elle nous a parlé de sa passion pour le Moyen-Orient, de son expérience « terrain » des situations post-conflits en Irak, au Liban et en Libye, et de ses sources d’inspiration.

Qu’est-ce qui a déclenché votre intérêt pour les enjeux sécuritaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ?

Tout a commencé par une thèse de maîtrise portant sur l’image de la guerre dans la littérature française. Je me suis rendue compte à quel point la violence, et son image, avait changé entre Waterloo et la première guerre mondiale : de l’abstrait chez Stendhal, c’est devenu un vécu très personnel chez Barbusse, et je trouvais captivant le concept de conflit comme expérience individuelle et sociétale. Je voulais aller plus loin, choisissant ensuite les institutions militaires comme objet d’études dans des pays post-conflits. Le Liban était mon premier pays d’étude, suivi par l’Irak et la Libye. J’approche donc la sécurité de l’angle conflit : je m’intéresse avant tout aux motivations, aux vécus de guerre, pas qu’aux stratégies ou aux méthodes.

Avez-vous été inspirée, par des femmes ou des hommes, dans les choix qui ont guidé votre parcours professionnel ? Quels ont été leurs enseignements ?

En 2003, quand j’ai commencé mon voyage de recherche, il y avait très peu de femmes qui travaillaient sur le monde militaire au monde arabe. Ce qui m’a aidé était mon grand-père allemand, ancien aviateur : non pas parce qu’il connaissait le Moyen Orient, mais parce que grâce à lui j’étais très à l’aise dans le monde militaire et sa culture. C’est sans doute cela qui a fait que je n’avais pas de difficultés particulières à entrer en communication avec des officiers. Une autre personne qui m’a inspirée était Gertrude Bell, une exploratrice anglaise qui a fini comme conseillère du roi Faisal en Irak. A chaque fois que j’encontre des défis, je me dis que c’était bien plus difficile pour elle ! Mais le long de ma carrière, j’ai eu la chance d’avoir des supérieurs, hommes et femmes, qui m’ont soutenue et encouragé.

Du Parlement allemand à la vice-présidence de l’EUISS, en passant par le Collège de l’OTAN, quels ont été les plus grands défis auxquels vous avez été confrontée au cours de votre carrière dans le monde de la sécurité internationale ?

Mon premier moment de colère était quand on m’a dit à l’OTAN « On vous a recruté malgré le fait que vous êtes une femme ». C’était censée être un compliment. J’en ai parlé à mon chef qui était un US Marine et qui avait une sensibilité que les Européens n’avait pas (encore ?). Son soutient m’a beaucoup aidé à gérer la situation, et j’ai appris à avoir le sens de la reparti depuis. Le terrain dans une zone de crise, en tant que femme, c’est un défi constamment – c’est faisable, mais il faut s’organiser pour avoir de la protection.

Pensez-vous que l’environnement professionnel et universitaire dans lequel vous avez évolué est peu féminisé ? Si oui, quelle serait, selon vous, la clé pour avoir plus de femmes à des postes de responsabilité dans le monde de la recherche ?

Oui et non : la recherche sur le monde arabe est bien féminisée maintenant, il y a beaucoup de chercheuses courageuses, originales et extraordinaires, et elles m’inspirent beaucoup. Par contre, le monde de la sécurité est toujours très masculins. D’un coté, la guerre est un sujet qui intéresse plus les hommes, mais de l’autre coté beaucoup de femmes sont intimidées par ce « Band of Brothers ». Je pense qu’il faut encourager les femmes à demander leur place à la table, à les orienter vers des sujets considérées « masculines ». Un de mes supérieurs a essayé de m’orienter vers l’égalité des sexes et la culture, pensant que j’y serai plus à l’aise, mais une femme, tout comme un homme, comprend le conflit, et par extension, la guerre.

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes femmes désireuses de s’engager dans la poursuite d’un doctorat ou qui souhaiteraient travailler en qualité de chercheuse dans un think tank comme le vôtre ?

Je suis surfeuse, et la vie professionnelle ressemble beaucoup au surf. Il faut savoir reconnaître les opportunités, il faut du courage, mais il faut aussi savoir remonter sur la planche après une mauvaise vague. Et on ne peut pas attendre à la plage que quelqu’un vienne vous chercher. Mon conseil principal : trouvez une question qui vous passionne et allez jusqu’au bout. N’acceptez pas les non. Soyez créative pour surmonter des défis, et surtout : amusez-vous. La recherche peut vous remplir de joie, mais il faut aimer aussi les moments difficiles : la bataille des idées, les pages blanches, des moments de fatigue.

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